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La lutte sociale au Brésil a le goût de la terre et sent la forêt, Partie I

A travers cet article scindé en 2 parties, nous vous invitons à plonger dans les dessous de la lutte sociale au Brésil. La 1ère partie se consacre à la lutte pour accéder à la terre grâce à l'agroécologie et la 2nde grâce à la protection de la forêt.



Pour les retardataires: voir les articles "Maraba, rencontre en terre d'expulsion et de de travail esclave", "Le Brésil, un pays qui n’en a toujours pas fini avec la colonisation et les inégalités", "Comment être propriétaire de sa terre au Brésil lorsqu’on est un petit agriculteur, en Amazonie ?" , "Laisa et Sé, vers l'autosuffisance alimentaire" ... Sans ça, vous risquez d'être perdus!


Après avoir exploré la question de l'accès à la terre et de ses conséquences malheureuses sur les êtres vivants et leur milieu à travers les récits de la CPT, nous avons vu, senti, entendu, touché, goûté et ressenti ce qu'elle était vraiment.

Pensant s'offrir l'opportunité de découvrir des nouvelles techniques agroforestières dans le Sud-Est du Para, toujours auprès de la Commission Pastorale de la Terre ou CPT, c'est dans une cascade de rebondissements que nous avons été emportées. La CPT participe grandement à l'émancipation et la crédibilité des petits agriculteurs vis-à-vis du reste du Monde..!




La CPT, le Robin des Bois des temps modernes


A la manière de ce cher Robin des Bois, les mouvements sociaux et la CPT, tentent d'affaiblir les "riches" au profit des "pauvres", à coup de formation agroécologique, accompagnement juridique et création d'assentamento.


"Robin des Bois" tourné en 1938 avec Errol Flynn

Histoire de la lutte en Amazonie et à Maraba

Manu Wambergue, un des fondateurs de la CTP de Maraba, nous a invité dans ses souvenirs et nous a fait part de sa connaissance de la région. Comme un bon livre d'histoire, il nous a raconté ...


Au départ terre indigène, la région de Maraba s'est vue colonisée par des populations venues de tous le Brésil pour occuper l'Amazonie. La paranoïa militaire durant la dictature a effectivement motivé sa prise d’assaut, dès les années 60. Rien de tel que des propriétaires fonciers ou des entreprises privées pour mater la guérilla.


Puis avec le changement de la consommation et le développement des marchés à cette même époque, on veut vendre ses produits, et plus seulement les consommer. La production vivrière de fruits et légumes s'est substituée à l'élevage bovin. De plus, on mise dorénavant sur la sûreté et la facilité de commercialisation. Vous avez déjà vu une récolte de haricots aller tout seul au marché et se conserver pendant qu'elle attend un acheter potentiel ? Ainsi, le "retard de la région" en terme de route, ville et industrie a conduit les nouveaux venus à se tourner vers l'élevage au détriment de l'agroforesterie ancestrale.

De plus, la production horticole n'a jamais suscité de grands intérêts économiques et politiques. Même si aujourd'hui, 70% de l'alimentation quotidienne au Brésil vient de l'agriculture familiale {1}, elle ne permet pas de générer des capitaux à l'échelle nationale.


La conquête de l'Amazonie a été lancée et les injustices se sont installées. Depuis cette période, les grands propriétaires fonciers se sont accaparés les terres, laissant peu d'espace aux petits agriculteurs, et ce malgré la réforme agraire. Dans le climat de la dictature militaire, il était difficile de s'exprimer sans se faire traiter de guérillero avant de finir assassiné. De nombreux massacres de paysans se sont produits dans les alentours de Maraba, commandités par le régime militaire ou par des grands propriétaires. Les syndicats et associations de lutte pour l'accès à la terre ont perdu de nombreux militants et sympathisants. Peu à peu la révolte et les mouvements de contestation ont été étouffés, laissant place à une violence quotidienne et domestique. On ne saurait déterminer si la relation est directe, mais en 100 ans d'existence, Maraba est devenue l'une des villes brésiliennes où la criminalité est la plus forte... d'où le surnom de Marabala (bala=balle).


Photographie issue de l'article "Ato público em Marabá (PA) denuncia Massacre de Pau D'arco" sur le site de la CTP {2}.

Le 24 mai dernier à 350 Km de Maraba, un massacre de 10 paysans a été perpétué...

250 personnes se sont réunies à l'occasion pour dénoncer les crimes touchant les familles entrant dans une démarche d'occupation de la terre.

Née catholique, devenue universelle


Ce sont Junior et Chiquinho, qui nous ont décrit le contexte de Maraba et les injustices qui y régnaient. Tous les deux sont techniciens agricoles à la CPT.

Les origines de la CPT prennent racines dans les actions de l’Eglise catholique progressiste, suite aux luttes pour accéder à la terre, durant la dictature militaire de 1964 à 1985.

La création CPT est accompagnée par la création d’autres mouvements comme Le Mouvement des travailleurs Sans Terre ou MST (vous pouvez rire un moment, mais c’est pour mieux reprendre votre lecture), le Mouvement des Petits Agriculteurs, le mouvement les femmes paysannes, les syndicats ruraux tel que le FETAGRI.

Aujourd’hui, bien que l’orientation soit toujours religieuse (l’église catholique est l’une des principales sources de financement de l’organisation), l’appui technique et juridique de la CPT s’adresse à toutes les communautés rurales fragiles. Elle apporte également son soutien aux autres mouvements sociaux en renforçant leurs actions avec des outils de formations et d'accompagnement {3}.


Les objectifs de la CPT sont clairement définis: accompagner, conseiller et défendre les familles qui ont été expulsées de leur terre ou qui ont été exploitées, et dont les droits ont été bafoués. Cet accompagnement s’effectue dès l’expulsion des familles jusqu’à l’installation dans un assentamento avec sa production agricole. Malgré le fait que le processus puisse durer une vingtaine d’années, la force de la CPT est qu’elle apporte une réponse constante et durable pour chaque grande étape de la réinsertion des populations.

La figure de Robin des Bois aurait pu être parfaite pour symboliser le combat de la CPT... du côté des plus démunis, contre les injustices. Sauf que Robin, il aimait la bagarre! La CPT, elle, s'acharne dans une lutte pacifique, ... et elle a raison.



Une lutte qui prend la forme de l'agroécologie et de l'agroforesterie


Le rôle de la CTP est déterminant dans la transition socio-environnementale des agriculteurs. C'est un travail long et laborieux, car elle remet en cause des années de pratiques et un mode de vie dicté par les grands groupes ou des institutions publiques. L'éducation et la sensibilisation des agriculteurs sur la valeur de la terre et celle de la forêt sont une priorité pour les membres de la CTP.

Junior et Chiquinho, techniciens agricoles de la CPT, accompagnent les producteurs et les petits agriculteurs pour faire de leurs systèmes agricoles, un système durable produisant une source de revenue satisfaisante, tout en protégeant leur précieux environnement, la forêt.

En effet, Junior est fils d’agriculteur, mais c’est durant sa formation qu’il a été sensibilisé à l’agroécologie. Chiquinho, quant à lui, se décrit comme un agriculteur qui transmet sa connaissance et son expérience de l’agroécologie et des systèmes agroforestiers.

A travers des visites, des formations et des démonstrations, ils font leur possible pour, à court terme, améliorer la vie des petits agriculteurs et, à long terme, redonner aux "petits" ce que les "gros" se sont accaparés.



Logo de la CPT et photographies de Chiquinho, le Robin des Bois de référence de la CPT à Maraba.

Technicien agricole, Chiquinho oriente et "stimule'' les agriculteurs à passer à l'agriculture durable, avec passion.



Chiquinho nous a emmené à la rencontre des petits agriculteurs de l’assentamento “Porto Seguro”, situé à 20 km de Maraba. Là, un effort tout particulier est fait pour protéger la forêt native. Cet assentamento est en effet inscrit en tant que Projet de Développement Durable, soit PDS en portugais pour “Projeto de Desenvolvimento Sustentável”. Après 14 ans de luttes avec les institutions publiques et la justice, 37 familles ont obtenu le droit de disposer d'une terre il y a un an, suite au processus d'accès à la terre de la réforme agraire. Ainsi, pour ces 37 familles, il est interdit d’utiliser les intrants chimiques sur les parcelles agricoles et de déforester plus de 20% du lot acquis, selon le PDS. Au contraire, on incite les producteurs à utiliser les ressources offertes par la forêt et à les valoriser. La plupart des familles ont mis en place un système agroforestier, après avoir suivi des formations ou spontanément ou encore après avoir observé les voisins plus aventureux. Les débuts sont difficiles, on produit tout juste pour vivre au jour le jour. Mais ici on est fier d'être agriculteur au PDS Porto Seguro. C'est avec ambition et bienveillance qu'on plante les arbres dans les parcelles et qu'on favorise l'engrais organique. On entend encore ce refrain dans nos oreilles: "tout est naturel [...] on n'utilise pas d'intrant chimique, car on fait une agriculture durable [...] on vit durablement".


Le premier succès de la CPT est d'avoir réussi à créer cette conscience commune de préservation chez une majorité de ces agriculteurs. Ici, on reconnait la richesse de la forêt et la nécessité de protéger sa terre. On jure sur les grosses industries de l'agrobusiness. On reconnait aussi que faire le choix d'être un petit agriculteur, c'est mettre un pas dans la lutte contre l'injustice sociale. Faire de l'agroécologie, c'est résister et contourner le système actuel d'une agriculture verrouillée, aliénante et suffocante.



Une lutte imparfaite


Le manque de soutien et de moyen, tant technique que financier, ralentit les projets des petits agriculteurs de cet assentamento Porto Seguro, comme ceux de tant d'autres. Les aides des institutions publiques, du gouvernement et de l'INCRA traînent, et c'est sans compter la crise de la réforme agraire de 2015, avec la suspension de toute création d'assentamento... Suite à des débordements et des abus fiscaux et judiciaires, des milliers de paysans attendent la réforme de la réforme agraire ...

La revisite de la réforme agraire pourrait être une aubaine pour résoudre le fond du problème. Avoir une terre sans avoir les outils pour la travailler, c'est inutile. Depuis les débuts de la réforme agraire, on crée un assentamento, c'est-à-dire on redistribue la terre à des paysans, pour calmer les conflits et les mécontentements mais sans se préoccuper de la suite. En effet, on ne cherche pas à développer les assentamentos avec des services d'accompagnement, la mise sur le marché des produits, ... Les actions des institutions publiques traînent ce qui n'encouragent pas les agriculteurs à rester. A en croire Chiquinho, 1/4 des familles de l'assentamento Porto Seguro décrit précédemment, sont parties ou ont revendues leur terre. Les populations rurales, bien que très généreuses, sont individualistes. La conscience collective peine à se créer. Ce qu'il manque aujourd'hui, ce sont les accompagnements techniques et logistiques pour la production et la commercialisation. Trouver des débouchés pour les produits agricoles de l'agriculture familiale durable, des collectifs et coopératives d'agriculteurs, c'est être plus fort et s'affranchir des lois du marché.


1ère réunion au PDS Porto Seguro avec les représentant de l'EMBRAPA, le Ministère de l’Environnement, l'INCRA et la CPT de Maraba.

Après 14 ans de lutte et après 1 an de projet de développement durable, c'est seulement aujourd'hui que les institutions publiques se penchent sur les défis de ce premier assentamento PDS de la région.



Avant d’arriver à Maraba, nous n’avions jamais réalisé la puissance que conférait l’agroforesterie, surtout dans ces régions appauvries par l’exploitation démente de la forêt.

A travers des témoignages scandaleux, choquants et très souvent tristes, on nous à décrit Maraba. Après avoir étudié de plus prêt le travail esclave, les questions foncières et la pression de l’agrobusiness sur les petits agriculteurs, nous avons mieux compris le drame socio-environnementale qui se déroule dans cette partie du monde.

L'agroforesterie au Brésil, est bien plus qu’un moyen pour protéger les ressources naturelles et pour préserver notre santé. C’est avant tout un moyen de lutter pour sa liberté, lutter pour ses droits, lutter pour la Terre.



Nous livrons bientôt la suite! Restez avec nous!


Sources:

{1} www.brasil.gov.br/economia-e-emprego/2015/07/agricultura-familiar

{2} Article du massaacre de Pau d'acro: https://www.cptnacional.org.br/index.php/publicacoes/noticias/conflitos-no-campo/3800-ato-publico-em-maraba-pa-denuncia-massacre-de-pau-d-arco

{3} cptnacional.org.br


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