Ou comment survivre dans le "Far West" Brésilien avec la seule force de mes bras ?
Tout d’abord, faites-vous la distinction entre être propriétaire d’une terre et posséder une terre ?
Avec l’article précédent, vous avez normalement compris que cette distinction est importante au Brésil et a entraîné de nombreux conflits.
[Pour en savoir plus, n'hésitez pas à lire « Le Brésil, un pays qui n’en a toujours pas fini avec la colonisation et les inégalités]
Toutes les terres du Brésil appartenaient initialement à l’État.
Donc :
Je ne peux être propriétaire que si l’État m’a délivré un titre de propriété. Ces titres sont délivrés aux entreprises, aux industries et aux gros de l’agriculture (éleveurs, "monocultivateur" de soja, maïsiculteur, etc. )
Cependant :
Je peux obtenir un droit d’usage pour cultiver la terre, je suis donc un "posseiros", c’est-à-dire un possédant. Je peux (à tout moment ?) être délogé par un plus "gros " qui possède, lui, un titre de propriété.
Normalement, cela se passait de cette manière avant la réforme agraire de 1964 qui encadre l’accès à la terre des petits agriculteurs.
Note : on définit comme petit un agriculteur cultivant de moins de 70 ha et qui n’est pas, le plus souvent, propriétaire de sa terre.
Lutte pour la lumière dans la forêt Amazonienne
Que dit la loi brésilienne aujourd’hui ? - La politique de l’assentamento
Pour faire simple : [car la chose est vraiment compliquée et pleine de subtilités qui sont difficiles à saisir en tant qu’étrangers]
Si j'ai des moyens, c’est-à-dire de l’argent, l’État considère que je suis en mesure de créer de la richesse pour le pays et je peux donc devenir propriétaire. Je peux acquérir un titre de propriété que je pourrais par la suite revendre.
Au contraire, les travailleurs ruraux doivent passer par les assentamentos. Ils sont mis sous la tutelle de l’État qui semble considérer qu’ils ne sont pas capables de gérer leur lopin de terre. Après un certain nombre d’années, ils peuvent demander « l’émancipation » et devenir propriétaire. Ce mot est le reflet de la considération qui leur est portée.
Les assentamentos sont des territoires divisés en lots, situées sur le domaine foncier public ou sur des terrains expropriés et sur lesquels ont été installées des familles sans terres à des fins d'agriculture. Les terres appartiennent donc à l’État et ne peuvent être vendues. Ces structures ont permis l'installation de 790 000 familles de 2000 à 2007 [1]. Ici, dans la région de Marabá, ce sont 502 assentamentos qui se sont installés, reflets de l’importante immigration dans la région.
L’INCRA reçoit des inscriptions de personnes désirant bénéficier du “Programme National de Réforme Agraire” et les sélectionne selon des critères stricts : agriculteurs de plus de 16 ans, sans terre, salarié, qui ne possède pas une propriété dépassant une certaine superficie et qui sont naturalisés Brésiliens. Les familles sont ensuite sélectionnées et l’INCRA leur attribue une terre et un logement selon la taille de la famille, la force de travail, l’âge du candidat, le temps de travail agricole, le revenu annuel familial et temps de résidence. C’est l’étape de la classification. [2]
En Amazonie, il est cependant courant que le périmètre soit créé par l'INCRA après l'occupation de la zone par les sans-terre. Les occupants n'obtiennent alors qu'un titre foncier provisoire, c'est-à-dire un "contrat de concession d'usage"
, qui leur permet d'avoir accès aux crédits. L'octroi du titre définitif n'intervient souvent qu'après de nombreuses années d'occupation, une fois l'assentamento "consolidé". [voir l’exemple de l’assentamento Porto Seguro]
Il arrive également que des paysans exploitent des terres privées pendant très longtemps sans que le propriétaire ne s’en rende compte. Lorsqu’on parle de propriétaire terrien, on parle de plusieurs milliers d’hectares. Vous imaginez donc la gestion…
Cette terre qu’il a exploitée lui revient alors de façon automatique. En prouvant qu’il l’a exploitée, c'est à dire en montrant qu'il a déforesté, il devient automatiquement propriétaire de la terre.
Un petit bout d'une grande propriété d'élevage Famille de l'assentamento Porto Seguro, devant leur maison
Un assentamento est donc une institution juridique accompagnée par des politiques publiques. Puisque les petits agriculteurs sont sous un « régime de tutelle », l’État se doit de les accompagner (c’est écrit dans la loi) : dans chaque assentamento il doit construire un centre de santé, des routes, donner accès à l’énergie électrique, à l’éducation. Les agriculteurs doivent également être accompagnés techniquement.
Et dans les faits ?
Évidemment, vous vous doutez que ça ne se passe pas tout à fait comme cela est écrit dans la loi.
Tout d’abord les gouvernements créent peu d’assentamento. Il ne faut pas croire que les gouvernements successifs de Lula et de Dilma Rousseff, connotés défenseurs du peuple, aient beaucoup fait avancer la chose. Au contraire, c’est le gouvernement de Dilma Rousseff qui a créé le moins d’assentamento. Comme en France, ce sont des gouvernements dits socialistes mais qui ont plutôt des politiques de centre, voire conservatrices. Ici, ces politiques aident les grands propriétaires terriens, leur facilitent l’accès au crédits pour augmenter la mécanisation mais aussi la déforestation… Une politique pas tout à fait de gauche, très nuisible à l’environnement et qui a permis une re-concentration des terres.
Cela crée les conflits d’accès à la terre que nous connaissons. Les paysans s’attribuent des terres. Ils sont expulsés. Les gros exploitants falsifient des titres de propriété. Les gens achètent des terres qui ne devraient pas pouvoir être vendues. Les industries et grands exploitants font pression sur les petits exploitants pour qu’ils vendent des terres qui ne devraient pas pouvoir être achetées.
Et les choses ne sont pas prêtes de s’améliorer avec l’arrivée de Temer au pouvoir. Mettre Temer au pouvoir, c’est mettre tous les grands propriétaires terriens au pouvoir. Ils sont son soutien politique et financier.
Les budgets des institutions destinées aux petits agriculteurs avait déjà été réduits mais avec Temer, ils sont aujourd’hui au minimum. Cela crée de gros problèmes pour entretenir les assentamentos et il est encore moins possible d’en créer.
Pour vous illustrer ce malheureux bazar, voici l’histoire de Niede :
Cette agricultrice que nous avons rencontrée lors de notre passage dans l’assentamento Agroextrativista Prailata Piranheira croit être propriétaire de sa terre. Son père a acheté des terres ici, il y a une cinquantaine d’année. Son frère devait en hériter mais c’est elle qui les rachète. Elle élève ici une centaine de vaches, conserve son bout de forêt et a même planté une forêt comestible. Respectueuse de la terre, respectueuse de Sa terre. Car Niede a acheté sa terre, elle pense donc qu’elle en est la propriétaire et de ce fait en prendre soin. Mais nous nous trouvons ici sur une zone d’assentamento, donc sur les terres de l’État. Ici personne ne possède de terre. Elle a donc acheté un titre falsifié …
Photo: Niede devant sa maison
Des politiques absents - des agriculteurs qui s’absentent des assentamentos …
Comme les politiques ne font pas leur travail de tutelle, les occupants des assentamentos se retrouvent sans ressources, isolés du reste du monde. Les routes ne sont pas construites, il n’y a ni école ni centre de santé. Les enfants sont obligés de rejoindre la ville qu’ils appellent « a rua ». Pour eux, la ville se réfère à la route qu’ils n’ont pas chez eux. Ces évènements déchirent les familles, qui quittent l’assentamento.
De plus, avec la nouvelle loi forêt, en Amazonie il n’est possible d’exploiter que 20% de la surface de sa terre (loi qui n’est évidemment pas respectée). Or ici, les paysans cultivent sur brûlis pour fertiliser le sol. Ils ont donc besoin de faire des rotations, ce qui les amène à brûler la forêt. Ils ne savent pas faire autrement et les techniciens sont aux abonnés absents. Il est alors difficile alors pour eux de tirer une rente de leur activité.
Heureusement, des organismes se substituent aux institutions publiques. La CPT par exemple, que nous avons rencontré, forme les paysans à une agriculture plus agroécologique, plus durable et notamment aux systèmes agroforestiers.
Agriculteurs d'un assentamento vendant leur production sans produit chimique Cours de la CPT pour concevoir son insecticide biologique
Reste le problème de la surface de l’assentamento, qui ne grandit pas alors que les familles grandissent. La solution la plus simple reste d’aller grapiller un peu de forêt…
Les conditions de vies dans l’assentamento expulsent donc ces habitants. Ils vendent alors leur terre (ce qu’ils n’ont pas le droit de faire) à des plus grands propriétaires ce qui entretien le processus de concentration de la terre dans les mains de quelques-uns. Dans la loi, il est cependant possible de revendre sa terre à un autre travailleur rural. Cette transaction est encadrée par l’INCRA.
Et les choses ne vont pas s’améliorer avec Temer qui veut abandonner ces politiques publiques d’aides et qui veut que l’Etat ne s’occupe que de la régularisation foncière.
Accaparer c’est revendiquer son droit
Depuis la fin de la dictature, les mobilisations sociales sont devenues plus fortes. Les mouvements de lutte pour la terre ont deux principaux types d'actions : soit ils organisent l'occupation de grandes propriétés considérées comme non-productives, soit ils encadrent la résistance des agriculteurs cultivant déjà une terre afin d'obtenir un droit de propriété.
Car les paysans et les mouvements sociaux ont compris que s’ils ne prenaient pas l’initiative d’aller chercher leurs droits de façon directe (s’accaparer une terre), ils savent que leurs droit (à l’assentamento) ne seront jamais respectés. Ici, dans la région de Marabá, avec l’aide des syndicats et des mouvements sociaux c’est 600 milles hectares de terres qui ont été prises. Et ce sont 600 personnes qui ont perdues leur vie pour la création de ces assentamentos….
Les assentamentos mettent donc du temps à s'installer. Leur mise en place nécessite souvent des années de luttes. Des années où chaque jour, les petits agriculteurs risquent de se faire déloger. Des années passées dans l'incertitude. Demain, peut être, un tracteur viendra détruire la petite cabane que j'ai construite, des policiers mettront le feu au champ que j'ai cultivé. Et il faudra tout recommencer, ailleurs, en espérant qu'un jour la situation se régularisera, que le bras de fer tombera de notre côté. Car il s'agit d'un véritable bras de fer entre fazendeiros qui veulent garder "leur" terre et syndicats, mouvements sociaux qui veulent la récupérer. Dans ces conditions de vie au jour le jour, on comprend qu'il est difficile de mettre en place des systèmes durables et pérennes tel que les systèmes agroforestiers.
S’accaparer une terre, c’est montrer qu’on existe.
Vivre de la forêt, c’est montrer qu’elle existe.
…
[La suite au prochain épisode]
Sources :
Interview avec Igor Rolemberg, doctorant d’une thèse sur les assentamentos, rencontré à la CPT
[1] Chiffres publiés sur le site de l’INCRA en 2007
[2] Informations trouvées sur le site de l’INCRA (http://www.incra.gov.br/)
[3] http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Bresil/BresilScient3.htm