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Maraba, rencontre en terre de l'expulsion foncière et de l’esclavagisme

Maraba, ville de “l’intérieur” de l’état du Para. Inconnue des touristes internationaux. Réputée pour son d'exploitation minière et forestière, mais aussi pour ses massacres de paysans, sa criminalité et ses assentamentos.


Cela fait 100 ans que Maraba a vu le jour, grâce à sa production de caoutchouc et de noix du Para. Avant, c'étaient les indiens qui géraient la terre et la forêt, vivant de la collecte des produits forestiers et de systèmes agroforestiers traditionnels. Aujourd'hui, ce sont le fer, le manganèse, l'or et le bauxite qui font la pluie et le beau temps de la région. L'exploitation des ressources de ce territoire génèrent des vagues de population, arrivant chaque année de tout le Brésil, à la recherche de travail et de meilleures conditions de vie.


Les plus chanceux trouvent un emploi dans l’industrie, en ville ou dans les grandes fazendas (fermes produisant du soja ou du bétail sur des milliers d’hectares). La plupart du temps, il s'agit d'emplois précaires, peu rémunérés et peu sécurisés. Les villes se remplissent, s'étendent et se dégradent peu à peu. Pour le reste de la population issue de la migration du travail, l’avenir est encore moins réjouissant : mendicité, crimes et violences, travail esclave…



Bem vindo à Maraba… La promesse trompeuse d’une vie meilleure

Les grosses entreprises sidérurgiques, minières, hydroélectriques et agroalimentaires implantées dans les municipalités autour de Maraba contrôlent l’économie et la vie des communautés. A chaque fois, ce sont des promesses d'emploi décent et de développement socio-économique qui sont associées à la création d'une nouvelle usine, d'un barrage, d'une expansion de mine, d'une voie de chemin de fer. Les promesses sont rarement tenues et les coups bas multipliés.

Un exemple : les habitants de la région de Maraba paient plus chère l'électricité qu'ils produisent que les habitants de São Paulo qui en bénéficient... et ils subissent les conséquences de l'industrie hydroélectrique : destruction de milieux de vie par la construction de barrages et de canaux et migration contrainte de communautés de pêcheurs vers les villes et les campagnes agricoles de la région.

Autre exemple, la société sidérurgique Vale qui extrait et exploite les gisements de minerais colossaux (les plus abondants au monde). Chaque année, la mine dévore des nouveaux espaces, repoussant les populations et la forêt.


Pont et de la voie de chemin de fer de la société "Vale", puissant pôle sidérurgique et métallurgique du pays qui s'étend sur les terres agricoles en expulsant les communautés qui y vivent. Photographie issue du blog paramonio.com

Carte de la voie ferrée Vale et du projet de canal de Maraba sur riosemargens.blogspot.com.br




Ce que ces entreprises veulent, elles l’obtiennent car elles jouissent de l'appui politique :

  • Ces entreprises ont besoin d’espace pour extraire les ressources minières abondantes dans la région ou exploiter les ressources naturelles et agricoles… Rien de plus simple qu’une expulsion ! La majeur partie des terres au Brésil appartiennent en effet à l’État, les habitants ne sont donc pas propriétaires. Bien qu’il y ait des lois pour l’accès à la terre et pour les modalités de possession, elles ne sont pas toujours respectées. Ça vous paraît curieux ? Voir prochainement les articles "le Brésil, un pays qui n'en a toujours pas fini avec la colonisation et les inégalités" et "Comment être propriétaire au Brésil ?"


  • Elles ont également besoin de petites mains non qualifiées pour les tâches ingrates… Des travailleurs en attente d'un travail, il y en a plus que de raison. Ils se pressent pour obtenir un emploi dans ces grosses industries fameuses dans tout le pays, leurrés par la propagande publicitaire. Lorsque les villes ne peuvent plus supporter la poussée démographique et qu'elles s'éloignent de plus en plus du lieu de travail, on fabrique alors des faux-semblants de villes avec des services publics bancales (maison médicale, école) où la précarité se développe petit à petit. Ce sont "des éléphants blancs", comme les appellent les gens d'ici, les infrastructures publiques qui ne servent que de trompe l’œil au développement de la région.


Le fait est qu’il n’y a pas de travail pour tout le monde à Maraba, et même si on a un travail, on est pas certain de le garder. On vient à Maraba (ou on y reste) pour trouver une vie meilleure, on est donc prêt à accepter n’importe quel travail, sous n'importe quelles conditions. C’est alors que les “petits” tombent entre les griffes des “grands et gros” dont l’appétit n’est jamais assouvi. C'est la loi de la jungle, on écrase le plus faible non pas pour survivre, mais pour grossir.



Le travail esclavage au Brésil... l'exacerbation de la loi du plus fort



A Maraba, nous sommes hébergées à la Fondation Cabanagem.

Son principal rôle est d’accueillir les travailleurs esclaves, qui sont libérés des grandes fazendas, où ils ont été surexploités. Elle accueille aussi les travailleurs issus des mouvements sociaux pour l'accès à la terre.

C’est avec l’argent issu des amendes des grands propriétaires fonciers et grands agriculteurs (ou fazendeiros) que la fondation a été financée à ses débuts. Aujourd’hui, c’est la Commission Pastorale de la Terre qui est à sa tête et coordonne le rapatriement et la réinsertion des travailleurs esclaves de leur prison à la fondation.




Photos de la Fondation Cabanagem: une entrée qui ne paie pas de mine donnant sur un cour et un préau propices aux formations et ateliers organisées par les différents mouvement sociaux de Maraba.








Bien que l’esclavage a été aboli en 1888 au Brésil, il perdure sous une forme plus contemporaine. Plus de chaîne, ni de bouler. Dorénavant, on “enchaîne” les travailleurs avec la promesse d’être payés sous condition.

Nous allons vous raconter comment on nous a décrit un type d’esclavage moderne, ici au Brésil.

Nous parlons d'un type d'esclavage car l’esclavage est présent aussi bien dans le monde de l‘agroalimentaire, comme dans celui de l’industrie lourde, l'industrie textile, ... dans des coins pauvres comme le Pará, mais aussi où se concentrent les richesses du pays, comme à São Paulo.





Le travail esclave dans les fazendas brésiliennes

Tout commence lorsque les travailleurs sont engagés pour travailler dans une grande fazenda perdue dans la campagne amazonienne. Les premières villes sont souvent à des centaines de kilomètres… pour cultiver du soja ou élever du bétail (destiné à l’exportation bien sûr). On a besoin d’espace, de beaucoup d’espace !


Ces travailleurs, faute de trouver un travail décent en ville, acceptent de travailler dans une prison à ciel ouvert. Au départ, la situation ne paraît pas si terrible : le fazendeiro propose de fournir les repas, le logement et des articles du quotidien. Si la fazenda est grande et accueille beaucoup de travailleurs, c’est une petite épicerie qui est à la disposition des travailleurs. Quelques fois des familles entières ont la possibilité de venir vivre et travailler sur l’exploitation.

Cependant, les limites de l’esclavagisme sont atteintes lorsque l’on note des sanitaires absents ou en piteux état sur le lieu de travail, voire sur le lieu d’hébergement. Lorsque ce même hébergement fait plus penser à une cage à lapins qu’à un dortoir. Lorsque les heures de travail sont à rallonge. Lorsque les enfants sont retirés de l’école et sont mobilisés pour le travail quotidien. Lorsque les repas sont en quantité insuffisante. Lorsque les « services et articles » proposés par le fazendeiro sont payants et hors de prix comparés au salaire de misère des travailleurs…



Pour se sortir de cette situation, les travailleurs doivent avoir les moyens financiers. Or, comme nous l’avons dit, le pauvre salaire est grignoté petit à petit pour les dépenses du quotidien. Ils ne peuvent donc pas s'assurer une vie à "l'extérieur".

Un autre cas de figure qui peut expliquer la «non-fuite», est la présence de « pistoleiros ». Engagés dans certaines fazendas pour « veiller » sur ces travailleurs, c’est grâce à eux ou à cause d’eux (tout dépend de quel côté on se trouve) que la fuite est quasi impossible. On reste donc à la fazenda, ne sachant pas où aller d’autre ni comment faire pour y aller, faute de moyen ou de liberté.


C’est donc en toute discrétion, perdu dans la forêt amazonienne souillée que l’esclavage subsiste.

Et ce n’est pas le pire, si certains courageux tentent de s’enfuir, on les abat. Ou encore, si le fazendeiro décide de ne pas payer les travailleurs, on creuse une fosse, on les massacre tous et on retourne à ses occupations.

Ces histoires sont dignes d’un film de «Far West» au temps de la ruée vers l'or en Amérique. Cela s’est passé à cette époque, mais ce qu’on ne sait pas, c’est que ça existe encore.



Caricature d'un pistoleiro, "pistoleiros invadem fazenda em Urucuca" par le journal du net "tribuna de ibicarai", 07/15





Pour toutes ces raisons : expulsions, travail esclave, injustices... Maraba est aussi réputée pour ses mouvements sociaux et la lutte des "petits" contre les "gros".

Quand Junior et Chiquinho, de la Commission Pastorale de la Terra (CPT), nous ont raconté cette réalité, nous avons été abasourdies et choquées. En allant un peu plus loin dans la conversation, on a compris à quel point l'accès à la terre était la source de toutes ces horreurs. Voir l'article "Comment être propriétaire au Brésil...?"

Bien qu’il existe des lois pour interdire le travail esclave, les mesures prises par les politiques publiques sont trop faibles pour le réprimer. Les mouvements sociaux, les syndicats et les organisations endossent donc ce rôle et luttent contre les injustices sociales et en particulier, le travail esclave. Ils offrent des perspectives d’avenir aux rescapés.

Ces mouvements tentent de percer petit à petit les bulles dans les lesquelles se sont enfermées les grands propriétaires fonciers, par le biais d'assentamentos et du développement de systèmes agroforestiers…




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