Devenez bilingue portugais avec le projet Para Agroflorestal. Apprenez fogo=feu ; roça=parcelle ; com=avec ; sem=sans
Le projet Pepital, c’est le projet que l’Université UEMA, avec qui nous sommes en relation, a mis en place. Nous, nous allons tenter de travailler avec les agriculteurs de ce projet pour les inscrire dans un réseau d’agriculteurs pratiquant ou souhaitant pratiquer l’agroforesterie.
Traditionnellement, les agriculteurs d’ici pratiquent la « roça com fogo » c’est à dire la culture sur brûlis. Le brûlis consiste à brûler une parcelle pour la cultiver durant un ou deux ans puis la laisser en friche pour que la forêt se reforme et que le sol se régénère. Ici, dans l’Alcântara (Maranhão), la forêt est coupée tous les 5 à 10 ans. La capoeira est le nom donné à cette forêt secondaire.
La roça est une parcelle où on cultive sur une année, en alternance ou en association, du manioc, du maïs et du riz ou maraîchage.
Manioc dans une roça com fogo
Comment est né le projet Pepital ? Un peu d’histoire
Place Matriz - Alcântara
Le projet Pepital se déroule dans la région d’Alcântara, une ville pleine d’histoire où le présent est conjugué au passé. Après une rapide colonisation française en 1612, ce sont les portugais qui prennent d’assaut cette ville, porte de l’Amazonie, à partir de 1616. Ils exterminent alors toutes les tribus indiennes qui s’étaient alliées aux français. L’économie prospère notamment grâce à l’industrie exportatrice de la canne sucre, très gourmande en main d’œuvre. Les indiens ayant été tués et chassés plus au nord, les portugais se lancent massivement dans la traite des noires. Retournement de situation après la révolution industrielle européenne (milieu XIXème siècle) qui déstabilise l’économie locale. La décadence est amorcée. Le coup de grâce arrive avec l’abolition de l’esclavage, en 1885. Sans main d’œuvre et sans économie, les riches propriétaires abandonnent la région, laissant derrière eux les vestiges d’une gloire passée. Seuls restent ici les descendants des esclaves, appelés Quilombos, un peuple qui demeure encore délaissé.
1983 - Durant la dictature militaire du Brésil (1964-1985), le gouvernement installe une base spatiale dans l’état du Maranhão à proximité de la ville d’Alcântara. Territoire de nombreux peuples indigènes, les fameux Quilombos, il s'agit surtout pour le gouvernement du meilleur endroit pour lancer des fusées dans le ciel. Des terres il y en a partout, mais un lieu capable de concurrencer la Guyane c’est plus rare. Alors on déplace les gens et on les laisse se débrouiller. Heureusement, des associations religieuses se sont battues pour leur obtenir des terres à cultiver. Étant donné que ces dernières sont peu productives et que les populations, éloignées de la mer, ne peuvent plus vivre de la pêche. Il devient nécessaire de cultiver sur les terres aux abords de la rivière Pepital. Et pour cultiver, il faut déforester… Aucune loi, aucune police n’encadrent la coupe d’arbres.
2011 – Un agriculteur, João Maleta, qui vit près de la rivière Pepital, alerte sur son état. Elle est de plus en plus sèche, il y a de moins en moins d’arbres dans la forêt. Marilda, femme engagée et fondatrice de l’OCA, accompagnée par d’autres personnes tourne alors un film pour alerter les autorités publiques. Encore une fois, silence radio.
Rio Pepital en hiver, après une forte pluie
2012 – Bien que le credo de l'université soit la recherche, l’UEMA menée par Guillaume Rousseau s’empare du problème, par nécessité, par conviction. Après un travail de diagnostic de la zone qui leur permet de mieux comprendre la situation et connaitre la population, ils décident d’organiser des réunions, des échanges avec les communautés vivant autour de la rivière. S’ils ne font rien, bientôt il n’y aura plus d’eau dans la ville d’Alcântara et dans leurs puits… Comment vivre sans eau ? Un groupe de dix agriculteurs est créé pour amorcer une transition. Le projet Pépital est lancé.
2015 – Les agriculteurs sont d’accords pour arrêter les cultures sur brûlis mais ne veulent pas passer à un système agroforestier. Cultiver avec des arbres ? Quelles est cette histoire ? La première année du projet est difficile pour les agriculteurs qui se lancent. Ces derniers veulent absolument cultiver du maïs, une culture exigeante qui ne supportera pas ces sols trop épuisés malgré les apports d’urée, de phosphate et de chaux. Les récoltes de riz et de haricots sont peu concluantes. En revanche, le manioc produit autant que dans le système traditionnel. Malgré des récoltes mitigées, tous poursuiveront le projet.
Fin 2015 – Parfois, il suffit d’un déclic. Baruso, agriculteur septuagénaire, entretient un lien étroit avec la nature. Il prend toujours soin de laisser un coin de forêt autour de sa « roça com fogo ». Mais la forêt est mise à mal par les feux répétitifs. Lors d’une visite, il rencontre des agriculteurs pratiquant l’agroforesterie. Ils sont heureux, tirent des revenus de leur parcelle. Quelque temps après, le champ de Baruso est recouvert d’anacardiers (arbre qui produit la fameuse noix de cajou).
2016 – Le groupe d’agriculteurs part en excursion à Tomé Açu pour voir l’exploitation commerciale en agroforesterie du japonais Michinori Konagano (que nous irons voir en juillet). Exemple intéressant pour les agriculteurs, qui ont toujours connu une agriculture de subsistance. Ils reviennent conquis, les mains chargées de semences, plantules et beaux projets. L’UEMA les aide à diversifier leurs plantations tout en leur apportant des conseils techniques. Elle a réussi son pari !
« Si les gens n’ont pas à l’origine une semence ou une graine dans la tête que tu vas pouvoir irriguer, qui va pouvoir se développer, c’est une perte de temps, et on n’a pas le temps. »
Guillaume Rousseau, coordinateur du projet Pepital et chercheur en microbiologie des sols
Et maintenant ?
La transition est lancée. Les agriculteurs sont partis vers un nouveau système et d’autres vont peut-être rejoindre l’aventure à leur tour. Mais le projet Pepital va bientôt prendre fin. Or il est impossible de ne pas être aux côtés des agriculteurs. Ils se sont engagés dans un nouveau type de culture, il faut s’engager à les accompagner techniquement et durablement !
En savoir un peu plus sur la roça sem fogo :
Dans un contexte plus global, le Brésil est aujourd’hui le quatrième pays émetteur de CO² et a donc sa part de responsabilité dans le réchauffement climatique. Ces émissions importantes est en partie liée à l’agriculture sur brûlis pratiquée à large échelle par les agriculteurs et les éleveurs. De plus, ce type d’agriculture implique une déforestation incessante due à la demande croissante d’aliments et de biens de consommation.
Selon l’EMBRAPA (institut gouvernemental de recherche que nous allons rencontrer), 600 000 exploitations familiales en Amazonie peuvent potentiellement passer à une « roça sem fogo » et donc limiter la déforestation.
Le feu, l’utilisation de la chimie et les rotations de plus en plus courtes épuisent les sols et ses habitants. La vie du sol est pourtant le meilleur allié de l’agriculteur puisqu’elle aère structure, permet la mise à disposition des nutriments qui alimentent la plante ainsi qu'une meilleur infiltration de l'eau.
La « roça sem fogo » est une alternative pour produire tout en protégeant la nature. La technique est simple et repose sur des principes agroécologiques. Pour démarrer, l’agriculteur coupe la forêt tout en sauvegardant les espèces intéressantes. Il est important de laisser la biomasse coupée au sol pour l’alimenter. Il sera aussi enrichi par les plantes dites de couverture qui auront été plantées. Ce sont des espèces qui produisent une biomasse importante : des espèces issues de la famille des légumineuses (haricots guandu, mucuna, inga entre autres pour cette région du monde) puisqu’elles ont la capacité de fixer l'azote de l’air. La vie du sol prend le relais, transformant tout cela pour permettre une bonne production.
Un gain pour le producteur, un gain pour la nature !
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